Dans mon souvenir, c’est Jeff Cohen, mon professeur de « Lied et mélodie » en 2000-2001 au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, qui, au début de l’année 2002, m’a suggéré de poser ma candidature à la Master class de composition que Noël Lee donnerait en avril 2002 à l’Académie de Villecroze. Je l’ai fait d’autant plus volontiers que je connaissais déjà Noël comme pianiste grâce à plusieurs enregistrements, et l’un notamment que j’appréciais tout particulièrement et dans lequel il se produisait précisément avec Jeff Cohen : « A Yiddish Touch in Paris ». Après avoir écouté ma Fanfare pour cuivres, Noël a laissé sur mon répondeur un message où il me félicitait d’avoir su utiliser les cuivres non dans leur force mais dans leur douceur. Ce fut là un premier aperçu de l’immense générosité qui émanait de sa personnalité rayonnante. Pendant ses cours à Vllecroze, Noël faisait preuve d’une très extrême bienveillance envers les apprentis compositeurs que nous étions. Jamais avare en encouragements, ce pianiste, grand déchiffreur et défricheur de répertoire, nourrissait ses remarques, toujours pertinentes, d’observations qui joignaient à l’opinion argumentée du compositeur l’avis d’un praticien fin connaisseur. Noël n’hésitait pas à aller au-delà des questions strictement musicales pour aborder les thèmes les plus variés. J’ai pu ainsi bénéficier de sa connaissance approfondie de la poésie de Catherine Pozzi. C’était toujours un plaisir, lors des Master classes ou durant les repas, d’écouter cet homme qui avait traversé le siècle et connu tant de personnalités exceptionnelles, véritable boîte à souvenirs.
Conformément à la description que m’en avaient faite plusieurs collègues musiciens, le séjour à Villecroze s’est révélé idyllique. Le cadre était merveilleux, et les étudiants que nous étions, traités comme des rois. Cours, balades, concerts, lectures dans le calme de la somptueuse bibliothèque, discussions animées sur mille sujets : j’ai eu la chance de faire à Villecroze la connaissance de nombreux musiciens, qui sont devenus des amis : les chanteurs Delphine Collot et Vincent Lièvre-Picard, les pianistes Mara Dobresco et Nicolas Jouve. La fin du séjour a été un peu ternie par les résultats du premier tour des élections présidentielles que nous avons découverts à la télévision, à l’occasion d’une soirée électorale en direct un peu surréaliste. Nous ressentions un sentiment de découragement mêlé d’une certaine forme de culpabilité honteuse car la plupart d’entre nous n’avaient pas pris la peine de faire établir une procuration.
Deux ans plus tard, à l’automne 2004, j’ai retrouvé Noël Lee, à Villecroze encore, lors d’un Colloque co-organisé avec la Fondation internationale Nadia et Lili Boulanger, où j’ai fait une communication portant sur l’aînée des deux sœurs : « Nadia Boulanger compositeur. Les paradoxes d’une musicienne ». Par la suite, il m’est arrivé plusieurs fois de croiser Noël au CNSM ou à des concerts, et de bavarder à bâtons rompus sur tous les sujets que ce professeur nimbus habité par l’amour de la musique voulait bien aborder. Dix ans plus tard, en décembre 2014, pendant un concert organisé par l’association Cantus Formus, l’occasion s’est présentée à moi de lui rendre un dernier hommage. A un moment donné, Nicolas Bacri m’a sollicité pour improviser au piano sur des thèmes proposés par le public, et je me suis donc prêté au jeu. Etait présent dans la salle le baryton François Leroux qui s’est maintes fois produit en compagnie de Noël — Noël qui nous avait quitté dix-huit mois auparavant. Nicolas m’a demandé si je voulais bien faire une improvisation dans le style de notre ami disparu. Et, pensant à lui, je me suis alors lancé dans une synthèse entre Stravinski et Schoenberg à la sombre expressivité zébrée par endroits d’éclairs de vie rythmique.